Max Frisch
Fabian Chappuis
du 05/01/2016 au 14/02/2016
Théâtre 13,
Paris
Présentée comme étant une pièce germanophone très connue, Andorra s’avère pourtant assez peu montée sur les plateaux français et, partant, peu réputée dans notre langue. La volonté, de plus en plus manifeste, de proposer des dramaturgies entrant en résonance avec notre actualité la plus sombre permet de lui donner un écho qui a conduit Fabian Chappuis à la monter au sein du Théâtre 13 dont il est l’administrateur. Pour souligner encore cette lecture, à la lumière de notre présent, il a, au surplus, rajouté un sous-titre tout à fait explicite : « Autopsie d’une haine ordinaire ».
Explicite, ce sous-titre l’est même doublement puisqu’il s’agit bien de haine quand l’argument tourne autour de la création d’un bouc émissaire par la communauté d’un pays fictif, et d’autopsie puisque la fin de cette tragique histoire nous est donnée très vite et que la pièce agit comme une forme de reconstitution de ce qui a conduit à cette issue. Andri, fils adoptif du maître d’école, a été exfiltré par ce dernier du pays voisin quand les juifs y furent exterminés ; alors que ce même État est en passe d’envahir la calme contrée d’Andorra, les regards se tournent vers le jeune homme, vu comme une menace et la possible cause de leurs tourments, bien qu’on sente que tout n’est pas forcément aussi simple. Face à ce flux implacable, le père, personnage probablement le plus complexe (en raison des nombreux états qu’il traverse, de la bravoure à la lâcheté en passant la peur des réactions et de la pression populaire) s’exclame ainsi : « Et s’ils n’en voulaient pas de la vérité ? ».
Réitération des stéréotypes, remontée à la surface de relents antisémites, force du qu’en-dira-t-on et dimension grégaire du groupe servent alors de ressorts à la dramaturgie qui, libérée du « quoi ? » (annoncé très, voire trop, tôt), se concentre donc sur le « comment ? » et le « pourquoi ? ». La pièce de Max Frisch tente de répondre à ces deux questions, accompagnée par des adresses des personnages secondaires, sous formes de témoignages a posteriori, comme s’ils étaient interrogés par la police dans le cadre d’une enquête, projetés en vidéo sur scène. Un peu gênant, ce procédé (présent dans le texte originel de l’auteur suisse) dégage toute intrigue et recherche de résolution mais permet, justement, de se concentrer sur le reste dans un ensemble marqué par un sens du tragique parfois trop poussé, notamment dans quelques scènes un peu trop étirées.
Comme on le précisait en début de recension, Fabian Chappuis souhaite inscrire Andorra dans notre présent et procède, alors, par décontextualisation et distanciation : costumes intemporels (marron, rouge et gris), absence de décor (trois cloisons mobiles et une chaise), pénurie de références (ni inscriptions, ni accessoires) et musique instrumentale non datée. De la sorte, tout passe par la parole et l’interprétation des comédiens, évoluant au milieu de ces trois parois peintes de blanc et pouvant ainsi tout figurer. À l’évidence, la réverbération contemporaine ne s’en fait que plus forte.
le 12/01/2016