du 26/09/2025 au 22/02/2026
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris,
Paris
Déménagée au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris pendant les cinq ans (minimum) de travaux du Centre Pompidou, l’exposition du Prix Marcel Duchamp conserve les préceptes suivis dans ses anciens lieux : approche paritaire (les quatre nommés proposent des œuvres) et présentation donnant une salle à chaque artiste. En ouverture de parcours, petite nouveauté cependant avec une salle collective, composée d’une création par personne, comme un avant-goût de ce qui va suivre. Dès cette introduction, on sent poindre une thématique d’ensemble assez tourmentée, voire anxieuse, aussi bien dans les teintes, les matériaux ou les préoccupations retenues par les quatre plasticiens en lice.
Concourant pour le Prix Marcel Duchamp cette année, Eva Nielsen faisait aussi partie des artistes candidats au Prix de la Fondation d’entreprise Ricard en 2022. Lors de l’exposition dédié, on avait pu relever ces peintures aux sujets superposés comme dans un fondu enchaîné. Ici, le procédé diffère, mais la volonté de ne pas livrer un visuel brut demeure puisque ses toiles sont recouvertes de voiles d’organza, qui filtrent le regard, embuent les sujets et leur confèrent une forme cotonneuse un peu évaporée. Les vues des paysages représentés sur ses peintures s’apparentent alors à ces images de pellicule brûlé, comme pour dire la fin de ces écosystèmes. Pour structurer l’espace de la salle qui lui est consacrée, la Française a disposé de grands voiles, tendus verticalement façon rideaux de scène et qui, une fois encore, créent un trouble dans la vision.
Avec ses toiles verticales aux personnages aux corps quasi-phosphorescents en train de chuter, Xie Lei occupe la salle suivante. Sans visage ni expression, simplement dépeint par leurs silhouettes, ces êtres tombent dans un environnement indéterminé, sombre et simplement parcouru de quelques points comme des tisons émanant des corps choyant. Tout ceci fait naître un double sentiment : d’étrangeté (la chute pourrait avoir lieu dans l’air ou dans l’eau, les personnages ne sont pas identifiables) mais aussi, et malheureusement, de familiarité (impossible de ne pas penser à ces personnes sautant du World Trade Center le 11-septembre). Pourtant, parfois, un personnage en attrape un autre dans les bras, ou deux chutent de concert, rappelant que, peut-être, tout n’est pas totalement perdu, ce que remarqua possiblement aussi le jury, qui lui attribua le Prix pour cette année.
De grandes créatures chimériques nous accueillent ensuite, œuvres de Lionel Sabatté dont on avait déjà croisé, il y a plusieurs années, un loup réalisé en moutons de poussière. Ici, c’est de la pouzzolane (roche constituée de projections volcaniques) qui est utilisé par le Français pour composer ces inquiétantes chimères, sortes d’oiseaux géants, décharnés et gris qui, avec leurs becs pointés vers le sol, menacent le visiteur. Ces êtres sont toutefois moins glauques et perturbants que la toile Le Tissu, grand carré réalisé en peaux mortes et ongles, ou la série Les Visages, faite à partir de cheveux et fibres de vêtements trouvés dans le Musée d’Art Moderne, suite de dizaines de spectres qui paraissent hanter les lieux.
Pour terminer ce parcours assez peu joyeux et optimiste, Bianca Bondi invite à pénétrer dans une vaste installation, assemblage de meubles et objets, renversés, rongés par la nature ou recouverts par de la fausse neige. Reconstitution désordonnée d’une maison (on repère une cuisine et une chambre, un portail en fer donne sur un ailleurs), sa proposition traduit, à nouveau, cette éco-anxiété qui, au total, apparaît bien comme le fil rouge de cette exposition.
le 31/10/2025