du 22/06/2018 au 09/09/2018
Palais de Tokyo,
Paris
Clément Cogitore / David Douard / Palais de Tokyo / Petrit Halilaj / Tatzu Nishi / Ugo Rondinone
Principale exposition de la saison « Enfance » du Palais de Tokyo, Encore un jour banane pour le poisson-rêve (déformation du titre d’une nouvelle de JD Salinger, et joli intitulé au demeurant) parvient, nonobstant la variété des artistes présentés dans ces grands espaces, à tenir le fil de son rapport à cette thématique. Constat pas toujours vérifié à l’occasion des présentations collectives du centre d’art contemporain, cette vertu traduit la cohérence de la proposition curatée par Sandra Adam-Couralet et Yoann Gourmel et pour laquelle Clément Cogitore a également œuvré, comme dramaturge.
De fait, plus encore qu’un décor ou une scénographie, l’artiste a conçu le parcours du visiteur comme un dédale, nécessitant de passer dans des sas, de franchir des portes, de soulever des rideaux et d’emprunter des couloirs et escaliers. Tous affublés d’un nom spécifique, ils rythment la progression et renforcent le sentiment de plonger dans un lieu un peu imaginaire. Dans ce contexte, il aurait été tentant de développer une vision fantasmée de l’enfance, un peu mièvre et inoffensive, risque très vite écarté par les commissaires. Dès les premières salles, les jeux en face desquels on se trouve sont en réalité ceux où on joue à se faire peur (films de Philippe Grandrieux dans lequel des enfants criant face à Guignol sont mis en parallèle de routes sinueuses de nuit, et de Rachel Rose) et les tissages de Caroline Achaintre débordent du châssis, comme incapables d’être contenus. Plongé dans le noir, le Léviathan de Clément Cogitore et Karen Grigorian est constitué d’une grande queue à écailles, tandis que des coups sourds résonnent.
Même les sculptures et figures 3D s’avèrent inquiétantes et disproportionnées : créatures de Jean-Michel Appriou qui sortent du métal, sculptures hyperréalistes et miniatures de Tomoaki Suzuki, petite fille aux proportions étranges de Kiki Smith, maison de poupée agrandie à l’échelle 1 par Amabouz Taturo (nouvel hétéronyme de Tatzu Nishi) et disposée devant l’entrée extérieure du Palais de Tokyo, salle de classe reproduite par Petrit Halilaj où les graffitis et griffonnages sont en acier ou représentent des armes (nettement plus pertinente que les œuvres vu du même artiste kosovar en 2013 au Wiels bruxellois). Quand elles ne sont pas quasi-angoissantes, on les trouve lasses et un peu désespérées, tels les quarante clowns au regard flapi d’Ugo Rondinone.
Dans un registre moins tourmenté, l’enfance, c’est aussi le temps des constructions hétéroclites (au-delà des jeux avec les briques danoises) comme en témoignent les créations de David Douard, Keita Miyazaki ou Yuko Mohri, ou encore le temps des « si on était » (ces enfants qui jouent à imiter une voiture de taxi avec passagers sur la plage de Luanda, dans le film de Binelde Hyrcan). Pour prolonger cette dimension, les salles offrent aussi des ouvertures vers l’imaginaire, titillé par les wall-drawings de Megan Rooney et les très beaux arbres-miroirs de Takashi Kuribayashi.
Mais, assurément, l’objectif est de démontrer que tout est contraint ou empêché. Les balançoires de Clément Cogitore sont ainsi déjà occupées par des chimères et les enfants filmés par Sharon Lockhart sont cantonnés dans des cours d’immeubles magnifiquement cadrées. Même les intérieurs domestiques, qui devraient être rassurants, ne le sont pas, à l’image de la cuisine d’Anna Hulačová aux personnages dépourvus de visage ou aux mains liées. Au total, à vouloir absolument aller à rebours d’une « vision édulcorée ou nostalgique » de l’enfance, les commissaires et le dramaturge ont peut-être versé dans l’excès inverse, avec force hallucinations et noirceur.
le 21/08/2018