Ulla Von Brandenburg : Le Milieu est bleu

C’est avec une véritable attente qu’on se rendait au Palais de Tokyo, pour découvrir l’exposition personnelle d’une plasticienne qu’on prend toujours beaucoup de plaisir à retrouver. Ravis d’apprendre que la proposition d’Ulla Von Brandenburg avait été prolongée (n’ayant pas pu s’y rendre avant le confinement), nous nous remémorions aussi bien son intervention dans le sous-sol du bâtiment (quand elle avait habillé d’un motif arlequin un espace aux allures de scène de théâtre) que son exposition du Plateau, il y a plus de dix ans.

Vue de l’exposition

À nouveau, ici, des tentures et rideaux séquencent l’espace, mettant en place une scénographie qui arrive presque à nous faire oublier le lieu d’exposition, toujours très présent d’ordinaire. Avec son parquet au sol (même la volée d’escalier au bout de l’arc de cercle est recouverte de bois), son enfilade de cabanes faites en draps et toiles, ses rideaux tenus ouverts par des fils, ses tringles accrochées aux cintres, tout l’univers théâtral est présent dans cette exposition où le visiteur chemine en entrant lui-même dans des grands trous percés dans les tentures, en contournant les draps ou encore en cherchant l’entrée des cabanes. Sur sa route, il croise aussi des vestiges de performances passées, réalisées chaque semaine par des intervenants : personnages de chiffon figurant ces performeurs, cerceaux et bâtons inanimés, harmonium indien muet, ombres de tableaux accrochés à une tenture.

Vue de l’exposition

Ces mêmes intervenants se trouvent au centre d’un film d’une petite demi-heure, projeté vers la fin de l’exposition et tourné au Théâtre du Peuple de Bussang. Une troupe y prépare un spectacle (confection des décors et costumes, répétition des chorégraphies et chants), vit son quotidien et interagit, jusqu’à ce que, dans la tradition de ce lieu vosgien, le mur du fond de scène s’ouvre sur la forêt aux alentours, nouvel horizon des interprètes. À l’image de ces femmes et hommes, le visiteur peut aussi considérer avoir réalisé un parcours avec cette exposition, parcours qui peut se lire comme une métaphore de la condition humaine : naître dans l’œil de quelqu’un d’autre (les cercles concentriques du début s’apparentent au diaphragme d’un appareil photo), évoluer sur une suite de scènes en passant d’une maison à l’autre, prendre part à une performance, finir dans l’au-delà (cinq films tournés sous l’eau clôturent, en effet, l’exposition, dans une atmosphère bleutée un peu irréelle).

Les différents rituels auxquels l’Allemande s’attache une nouvelle fois renvoient, donc, au théâtre et à ses conventions (rideaux, costumes, troupe), mais peuvent aussi sonner comme des moyens de se rassurer, dans un contexte où, tentons une lecture à l’aune de la situation sanitaire, il est apparu parfois nécessaire de retisser des liens. La chaleur de l’ensemble du parcours (au sens propre, grâce aux grands draps et tentures qui habillent l’espace, mais aussi au sens figuré, grâce à leurs teintes bleues et rouges) participe également de ce sentiment. Les membres de la simili-troupe, héros du film et des performances, peuvent même, alors, être vus comme des rescapés d’une catastrophe (d’une pandémie ?), derniers humains d’un récit dystopique qui, à l’instar de ceux de l’excellent roman Station Eleven d’Emily St. John Mandel, n’ont plus que le théâtre.

François Bousquet
le 17/07/2020